Mesdames, Messieurs les représentants des institutions étatiques en charge du processus électoral,
Mesdames et Messieurs les décideurs et dépositaires de la force publique,
Mesdames et Messieurs les membres des forces de défense et sécurité,
Mesdames et Messieurs les Représentants diplomatiques,
Mesdames et Messieurs les Représentants des partenaires au Développement,
Mesdames et Messieurs les Représentants des organisations de la société civile,
Chers Concitoyens,
Amis du Gabon,
Parvenus à deux jours avant les élections générales du 26 août 2023, nous voudrions à l’entame de notre déclaration donner lecture de deux dispositions de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme :
D’abord un extrait de son préambule qui indique en son 3ème considérant :
« qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression ».
Puis en son article 5, que :
« Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
Pour rappel, depuis son admission aux Nations Unies, le Gabon s’est engagé à la promotion des buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies (1945), la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948) et les autres instruments internationaux en matière des droits humains. C’est dans cette optique que le Gabon a adhéré aux principaux instruments juridiques internationaux ; nous citerons notamment le pacte relatif aux droits civils et politiques (1983), la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels et inhumains ou dégradants (1984), le protocole facultatif à la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels et inhumains ou dégradants (2002), la déclaration sur l’élimination contre les violences à l’égard des femmes (1993), la convention relative aux droits des personnes handicapées (2007), la convention internationale pour la protection des personnes contre les disparitions forcées (2011), la charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples (1986).
Les droits et libertés protégés par tous ces instruments juridiques sont également garantis par la Constitution de la République gabonaise dont le préambule « affirme solennellement son attachement aux Droits de l'Homme et aux Libertés Fondamentales tels qu'ils résultent de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples de 1981 et de la Charte Nationale des Libertés de 1990 ».
Ce « bloc de constitutionnalité » reconnait l’égalité des citoyens devant la loi ainsi que les droits fondamentaux des citoyens que sont la liberté d’expression et d’opinion, de circulation, d’association, la liberté syndicale ; il reconnait également le caractère « démocratique » de la République gabonaise et le fait que la souveraineté de l’État appartient au peuple.
Le respect des droits fondamentaux est une obligation pour tous ; aussi bien pour les citoyens et autres acteurs non étatiques que pour les Représentants de l’Etat, notamment la chaine judiciaire et les membres des forces de défense et sécurité en charge d’encadrer les manifestations publiques. Le respect des principes de non-violence et des droits fondamentaux par tous est indispensable pour le maintien de la paix dans notre pays.
Malheureusement, les conclusions des enquêtes menées et consignées dans le rapport publié par la société civile gabonaise avec l’appui de Tournons La Page international démontrent la récurrence des violations de droits de l’Homme commises et la dynamique de rétrécissement de l’espace civique à l’œuvre au Gabon qui s’est accélérée depuis l’élection présidentielle de 2016. Il aura été dénombré entre août 2016 et août 2023, au moins 864 arrestations arbitraires, 12 manifestations interdites ou réprimées, 13 journaux suspendus et 34 jours de coupure Internet ; tous ces faits constituent des restrictions à l’espace civique.
Lire | L'espace civique en République gabonaise : le paravent d'un arbitraire
Sachant que l’espace civique désigne « l'environnement qui permet aux citoyens de jouer un rôle dans la vie politique, économique et sociale de leur pays. Plus particulièrement, l'espace civique permet aux individus et aux groupes de contribuer à l'élaboration de politiques qui affectent leur vie, notamment en accédant aux informations ; [en] instaurant un dialogue ; [en] exprimant leur désaccord ; [en] s'unissant pour exprimer leur point de vue ».
En effet, la ratification par le Gabon d’une dizaine de traités internationaux et son acceptation de 230 recommandations au cours de quatre sessions d’Examen Périodique Universelle (EPU 2008, 2012, 2017, 2023) pourrait laisser penser que l’espace civique au Gabon est favorable à l’expression démocratique ; hélas dans les faits on s’aperçoit qu’il est de plus en plus durement restreint. Les dispositions de la loi n° 001 du 3 août 2017 relative aux réunions et manifestations publiques, tout comme celles de la loi n°006 du 30 juin 2020 du Code pénal témoignent d'un fort durcissement des sanctions à l’encontre des différentes formes d’expressions démocratiques, rendant quasiment impossible les actions citoyennes universelles de contestation non violentes.
Il se trouve aussi que le manque de transparence électorale et le rétrécissement de l’espace civique engendrent systématiquement, à chaque élection présidentielle, une montée des tensions sociales manifestées par des actes de désobéissance civile et des tentatives de soulèvement populaires réprimées dans la violence avec allégations de pertes en vie humaine, disparitions forcées, arrestations et tortures.
Entre maintien de l’ordre et respect des libertés fondamentales, il y a urgence que la force publique parvienne à un équilibre vertueux.
A ce jour, malgré les engagements internationaux du Gabon, aucune mesure effective n’a été prise pour garantir les droits fondamentaux des citoyens en période électorale ni pour conduire des enquêtes indépendantes sur les allégations de violations de droits humains.
Eu égard à ce qui précède, au durcissement du corpus juridique, aux signaux inquiétants de tension qui commencent à se multiplier à travers le pays, le mouvement Tournons La Page et la Coalition des organisations de la société civile du secteur des droits de l’Homme au Gabon prennent à témoin la communauté internationale et les partenaires internationaux du Gabon, appellent les populations au calme et invitent le Gouvernement de la République à garantir le respect par l’ensemble des acteurs étatiques des engagements pris par la République gabonaise en matière de droits humains.
A un tournant de son histoire hautement critique et déterminant pour le continent africain, il est plus que jamais crucial que notre pays, le Gabon, demeure ancré dans la paix. Et il se trouve qu’à cette date de notre marche commune, un processus électoral transparent et le respect de la vérité des urnes sont les plus sûrs garants du maintien de cette paix. Les expériences récentes du Burkina Faso, du Mali, du Tchad, et plus récemment encore du Niger devraient nous enseigner.
Aussi, chacun de nous, chacun de vous, se retrouve-t-il aujourd’hui seul face à ses responsabilités devant l’histoire, et devra répondre de ses choix et de ses actes.
Oui, nous pouvons choisir la paix qui, dans une grande mesure, dépend du respect de la vérité des urnes. Il s’agit là d’une vérité partagée.
Pour leur part, les organisations de la société civile partie prenante à la présente déclaration assureront à compter de ce jour, avec l’appui des 250 organisations membres de Tournons La Page international et du REDHAC, une veille et prendront toutes les dispositions prévues par les instruments nationaux et internationaux en matière de Droits de l’Homme, pour tout cas de violation des droits fondamentaux des citoyens qui serait observé ou signalé avant, pendant et après les élections générales du 26 août 2023.
Je vous remercie,
Pour le mouvement Tournons La Page et la Coalition des OSC du secteur des Droits de l’Homme au Gabon
La Coordonnatrice porte-parole
Nathalie Zemo Efoua
Présidente du Réseau Femme Lève-Toi (ReFLeT)
Fait à Libreville, le jeudi 24 août 2023