L'OPELE, observatoire citoyen soutenu par Tournons La Page, publie son rapport d'observation du second tour de l'élection présidentielle au Niger. Le second tour de l’élection présidentielle a connu une mobilisation exceptionnelle des citoyens nigériens. Il a été globalement apaisé mais caractérisé par des campagnes illégales, des achats de conscience, des cas de corruption électorale, des discours de haine proférés dans le camp du candidat du parti au pouvoir comme celui de l’opposition, un manque de personnel et de matériel par endroits, une très faible application des mesures barrières contre le COVID, des cas flagrants de méconnaissance des procédures de vote par les agents électoraux, des détournements des urnes et des cartes d’électeurs, une très faible sécurisation du processus électoral notamment dans les régions de Tillabéry et de Diffa. Des attaques à Tillabéry et Diffa ont causé 8 victimes, le jour du scrutin.
Mais la mobilisation en apparence très forte avec des taux de participations anormalement très élevés dans certaines régions notamment dans les régions de Tahoua et d’Agadez, jettent un sérieux doute sur la crédibilité des résultats compilés, hâtivement annoncés par la CENI et dénoncés par le candidat de l’opposition comme une tentative de hold-up électoral.
Par exemple, dans la région d'Agadez, le taux de participation général est de 67,66%. En revanche, dans certaines communes de la région où vivent des populations nomades et où on devrait logiquement s'attendre à avoir une participation moindre, affichent des taux de participation record. À titre d'exemple, la commune de Djado, une autre zone nomade de la région a connu un taux de participation de 42,52%. Par contre :
- La commune de Timia a affiché un taux de 103,07% ;
- La commune de Gougaram a affiché un taux de participation de 85,65% ;
- La commune d'Aberbissinat où les représentants de l'opposition avaient été renvoyés le matin, a affiché un taux de participation de 85,87%.
Le taux de participation moyen au Niger au premier tour était de 69,67%, au deuxième tour il a été de 62,91%. Des chiffres encourageants qui montrent l'intérêt des citoyens pour la chose publique mais qui cachent dans certaines communes des chiffres non crédibles.
- La commune de Dabaga où des faux bulletins et des bulletins préremplis ont été distribués, a affiché un taux de participation de 88,01%.
Dans la région de Tahoua, des zones nomades ont également enregistré des taux de participation records :
- La commune d'Azeye a affiché un taux de participation de 99,76% ;
- La commune d'Ankoubounou a affiché un taux de participation de 98,63% ;
- La commune de Tillia a affiché un taux de participation de 98,18% ;
- La commune de Tamaya a affiché un taux de participation de 95,13% ;
- La commune d'Abalak a affiché un taux de participation de 92,61% ;
- La commune de Tabalak a affiché un taux de participation de 92,28% ;
- La commune de Kao a affiché un taux de participation de 90,34% ;
- La commune de Tassara a affiché un taux de participation de 95,78% ;
- La commune de Tchintabaraden a affiché un taux de participation de 95,16%.
Il est à noter que dans ces deux dernières communes, les délégués de l'opposition ont été chassés par des hommes armés le matin du scrutin.
Les autres départements de la région affichent une moyenne de taux de participation de 78%, soit le taux de participation le plus élevé du pays.
Dans 12 communes parmi lesquelles celles précitées, les représentants du RDR-Tchandji ont refusé de signer les procès-verbaux en raison des irrégularités graves constatées. Il s'agit des communes d'Abalak, Akoubounou, Azeye, Bambeye, Bouza, Kao, Tabalak, Tassara, Tamaya, Tebaram, Tchintabaraden et Tillia. La synthèse régionale elle-même n'a pas été signée par le représentant du RDR-Tchangi à la CENI régionale de Tahoua.
Conséquences : l’annonce des résultats globaux provisoires a provoqué des scènes de violence sans précédent dans la capitale Niamey et dans des communes de plusieurs autres régions. Le ministre de l’intérieur, dans un point de presse a incriminé les leaders de l’opposition, en particulier le chef de file de l’opposition (qui a soutenu le candidat Mahamane Ousmane au deuxième tour) comme responsable des manifestations violentes. Plusieurs leaders de l’opposition, dont le chef de file de l’opposition et l’ancien Chef d’État-Major Général des Armées après leurs garde à vue à la Police Judiciaire ont étés poursuivis et déférés dans différentes prisons à l’intérieur du pays. Et au total près de 450 interpellations ont suivi ces manifestations.
Conclusion
Le scrutin du deuxième tour des élections présidentielles s'est déroulé dans le calme. La participation, qui a atteint 62,91%, est inférieure à celle du premier tour, cela semble s'expliquer par la déception des électeurs suite aux irrégularités commises en décembre. Moins d'irrégularités nous ont été remontées, les différents camps et la CENI ayant tiré des leçons du premier tour. Les nombreux observateurs nationaux et internationaux également déployés sur le terrain ont aidé à dissuader les auteurs de fraudes de les commettre. En revanche, les irrégularités et violences constatées sont plus graves qu'au premier tour.
Un retard généralisé à l'ouverture des bureaux de vote visités par nos observateurs, principalement dû au retard d'acheminement du matériel électoral et des membres des bureaux de vote a, dans certains cas, réduit la durée légale des opérations de vote. Ce dernier a parfois été compensé par un retard à la fermeture.
Bien qu'elles ne soient pas généralisées, de graves violences ont marqué la journée. 8 membres de la CENI ont perdu la vie et plusieurs autres ont été blessés dans l'attaque de leurs véhicules dans les régions de Diffa et Tillabéri. Dans cette dernière région, plusieurs bureaux de votes ont également été attaqués par des individus armés et forcés de fermer leurs portes, privant les électeurs de participer au choix de l'avenir du pays. Le manque de communication sur les possibilités de vote a également créé des frustrations et tensions entre des électeurs à qui le vote a été refusé et les membres de bureaux de vote. Pire, dans certains quartiers de Niamey et Zinder, nos observateurs ont assisté à des empêchements de vote par la non délivrance des documents nécessaires.
Des achats de conscience, en quantité moindre par rapportu premier tour, ont également été constatés dans plusieurs localités du pays où certains électeurs ont échangé leur vote ou leurs cartes d’électeurs contre des savons ou une somme d’argent.
Dans certaines communes des régions d'Agadez et de Tahoua, les délégués de l'opposition ont été menacés et chassés, parfois avec violence et armes à feu, en violation du principe de représentation des partis politiques au sein des bureaux de vote. Dans ces mêmes régions, les communes affichent des taux de participation hors norme allant jusqu'à 103,07% dans la commune de Timia.
Recommandations
- Au vu des graves irrégularités constatées, l'OPELE émet un doute sérieux quant à la véracité des résultats et du respect du choix des citoyens nigériens.
- Afin que ces élections historiques soient considérées comme des élections démocratiques, l'Observatoire appelle la Cour Constitutionnelle à jouer son rôle en toute impartialité dans le processus de validation des résultats en se penchant notamment sur le cas des zones où la représentation de partis politiques n'étaient pas assurée dans les bureaux de vote suite à des menaces et celles dans lesquelles les taux de participation sont anormalement élevés.
- L'Observatoire demande à la CENI d'identifier et traduire devant les juridictions compétentes les présumés auteurs de violations de la loi électorale. De plus, pour les prochaines élections, l'OPELE conseille à la CENI de différencier les votes blancs des votes nuls afin que les observateurs puissent faire la différence entre le choix des citoyens de voter blanc et les erreurs occasionnant des votes nuls. Enfin, l'OPELE invite la CENI à mieux informer les citoyens sur les modalités de vote, notamment pour les personnes en déplacement.
- L'OPELE recommande aux différentes parties prenantes du processus électoral de réfléchir aux moyens d'appliquer la loi pour endiguer les achats de conscience et les autres violations lors des prochaines élections.
- Enfin, l'Observatoire demande un audit du processus électoral fait par des experts internationaux indépendants.
Lire le rapport complet en cliquant ICI.