Le 23 mars 2021, Denis Sassou Nguesso, président cumulant trente-six ans à la tête du Congo, a été officiellement réélu avec un score hors du commun de 88, 57 % des voix. Empêtrés dans une crise de la dette causée par une gestion économique calamiteuse, les Congolais, déjà sans grandes illusions, se voient à nouveau privés de changement politique. La mascarade électorale organisée par le pouvoir congolais nous rappelle l’accoutumance internationale à l’autoritarisme en Afrique centrale et nous conforte dans la nécessité de poursuivre le combat pour l’alternance démocratique en Afrique, comme ailleurs.
L’élection présidentielle au Congo-B qui s’est tenue le 21 mars 2021 reposait sur une mauvaise gouvernance électorale et une situation politique qui rendaient caduque toute possibilité d’une alternance démocratique au pouvoir. Comme l’a souligné Tournons La Page Congo dans son rapport sur la gouvernance électorale, c’est tout le processus électoral depuis le recensement jusqu’au dépouillement et la validation des résultats qui souffre des carences juridiques et institutionnelles. Sans un nouveau fichier électoral plus fiable, un découpage électoral plus juste, et une réforme de la Commission Nationale Electorale Indépendante et de la Cour constitutionnelle, l’organisation d’élections libres et transparentes au Congo est illusoire.
Par ailleurs, l’espace civique est complètement verrouillé depuis 2015 lors de la campagne sur le changement de la Constitution ayant permis au président Denis Sassou Nguesso de faire sauter la limitation à deux (02) du nombre de mandats pour se maintenir au pouvoir. Entre 2015 et 2017, le nombre de prisonniers politiques a atteint un niveau record avec près de 130 détenus. Les principaux opposants politiques, Jean-Marie Michel Mokoko et André Okombi Salissa, ont été condamnés à 20 ans d’emprisonnement à l’issue de simulacres de procès. L’enlèvement du Docteur Alexandre Dzabana Wa Ibacka à dix jours de la tenue du dernier scrutin, et la détention arbitraire de Raymond Malonga, directeur de publication de Sel-Piment, un journal satirique, depuis le 2 février 2021, attestent des agissements d’un pouvoir allergique à toute voix dissidente.
Comme en 2016, l’élection présidentielle du 21 mars 2021 a été organisée à huis clos. Le refus de délivrer les accréditations à l’Eglise catholique et à l’Eglise Evangélique du Congo (les empêchant de déployer leurs observateurs le jour du scrutin), la coupure d’internet, des réseaux sociaux et des SMS, non seulement témoignent des violations du droit à l’information et de liberté d’expression, mais aussi et surtout de l’opacité dans laquelle a été organisé ledit scrutin. Enfin la liberté de presse a été également violée suite au refus d’accréditation opposé à l’envoyée spéciale de RFI, Florence Morice, qui n’a donc plus couvert le scrutin.
Pendant le scrutin, les membres de Tournons La Page ont observé de nombreuses irrégularités. Il s’agit principalement : de l’absence de matériel (urnes, isoloirs, …) et documents électoraux (listes électorales, registres d’émargement des électeurs) ayant conduit dans beaucoup de cas à la fusion des bureaux de vote ; des urnes non scellées ; des dépouillements effectués hors de plusieurs bureaux de vote : des refus de remettre les procès-verbaux des résultats aux délégués des candidats de l’opposition ; du non affichage des procès-verbaux des résultats devant chaque bureau de vote ; de l’expulsion violente des électeurs voulant assister au dépouillement des bulletins censé être public selon la loi électorale, en son article 97 nouveau .
La proclamation des résultats provisoires en 72 heures laisse dubitatif tout observateur averti au regard des conditions logistiques très difficiles qui encadrent tout scrutin au Congo et qui rendent impossible une centralisation aussi rapide des résultats. Cet empressement serait-il dû à la volonté de clore au plus vite l’élection et couper l’herbe sous le pied de l’opposition politique qui pourrait demander un report de l’élection suite au décès du candidat Guy Brice Parfait Kolélas ? L’article 70 de la Constitution congolaise est en effet assez clair sur le sort d’un scrutin présidentiel en cas de décès ou d’empêchement définitif d’un des candidats: « Si avant le premier tour, un des candidats décède ou se trouve définitivement empêché́, la Cour constitutionnelle prononce le report de l’élection ». Hélas ! Le respect de la Constitution ne fait pas partie des habitudes des dirigeants et institutions en République du Congo.
Face à cette situation, le mouvement Tournons La Page apporte son soutien et sa solidarité à ses militants et toutes les organisations de la société civile qui se battent, malgré la violence et la répression, pour un avenir meilleur. Nous adressons également nos condoléances à tous les Congolais en deuil, suite au décès du candidat Guy Brice Parfait Kolélas.
Nous demandons également à la communauté internationale, à l’instar des Etats Unis d’Amérique (qui appellent « les dirigeants politiques congolais à adhérer aux principes démocratiques de bonne gouvernance » de poser des actes et de tenir un discours de fermeté face à l’un des régimes politiques les plus répressifs et corrompus du continent. De ce point de vue, elle doit:
- Condamner la coupure d’internet, la non-accréditation d’observateurs nationaux indépendants et des fraudes électorales constatées;
- Exiger des autorités congolaise la publication des résultats électoraux bureau de vote par bureau de vote afin de permettre un contrôle de la compilation des résultats et le traitement transparent du potentiel contentieux électoral ;
- Exiger la libération immédiate des acteurs politiques, de la société civile et des journalistes arbitrairement détenus et d’assurer la protection des défenseurs des droits humains réclamant la démocratie, notamment à travers un soutien politique et financier tel que défini dans les orientations de l’Union Européenne en la matière.
Nous prions l’Union Européenne d’intégrer dans les discussions politiques l’exigence de démocratie par la mise en place des fichiers électoraux biométriques d’une part, et de conditionner davantage l’aide publique au développement par la tenue des élections véritablement libres, justes et transparentes dont la conséquence est la mise en place des dirigeants responsables et redevables.
Nous demandons à la France d’être davantage garante de l’exigence de démocratisation des pays d’Afrique Francophone décidée au sommet France-Afrique de la Baule de 1990 et portée par le Président français François Mitterrand.
Nous demandons à l’Union Africaine de consacrer l’aspiration des peuples africains à la démocratie et à la liberté, valeurs qui ont guidé les luttes pour la décolonisation et les indépendances, d’encourager tous ses Etats membres à signer et à ratifier la Charte africaine de la Démocratie, des Elections et de la bonne Gouvernance que la République du Congo a signée le 18 juin 2007, mais sans l’avoir ratifiée jusqu’à ce jour.
Contacts Presse :
Marc ONA ESSANGUI, Président de Tournons La Page (TLP)
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Laurent DUARTE, Coordinateur International de Tournons La Page (TLP)
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